Le grand abbé du monastère de Khure
Rabjampa Ngawang Lobsang
(19e siècle)

« Je vais raconter ici l'histoire de Dordjé Shougden »

Rabjampa Ngawang Lobsang1, auquel Tara est apparue2, est né en Mongolie au début du 19e siècle. À l'âge de sept ans, il prit les voeux de Genyen et reçut le nom de Lobsang Thubten. Il entra au monastère de Khure (khu re) où il étudia les cinq grands sujets classiques. À l'âge de 17 ans, il prononça ses voeux de moine novice auprès de Ngawang Khédrup et il prit alors le nom de Ngawang Thubten3.

À un âge assez avancé, il se rendit au Tibet Central pour étudier les soutras et les tantras auprès du Dixième Dalaï-Lama, tshul khrims rgya mtsho (1816-1837), du Quatrième Panchen Rimpoché, bstan pa'i nyi ma (1782-1853), et du premier Trijang Rimpoché, byang chub chos 'phel (1756-1838, qui a été le Ganden Tripa de 1816 à 1822). Lorsqu'il revint en Mongolie, il reçut le titre de khu re mkhan po no mon han et il devint l'abbé du monastère de Khure.

Dans l'ouvrage écrit par Dan Martin (pp. 147-148) intitulé Tibetan Histories: A Bibliography of Tibetan-language Historical Works, on trouve une liste des textes écrits par « Rab-’byams-pa Ngag-dbang-blo-bzang (= Ngag-dbang-ye-shes-thub-bstan.)4 ». L'auteur écrit :

L'auteur était l'abbé du grand monastère de Khu-re à Urga [Ulanbator, Mongolie]. Il a, entre autres, écrit des ouvrages sur l'origine du Tantra de Tara et sur l'histoire du mantra « Mani » dédié à Avalokiteshavara en Inde.

En effet, ces ouvrages se trouvent bien dans ses oeuvres complètes publiées en deux volumes dans l'édition du Potala et en quatre volumes dans l'édition d'Ulanbator5, édition dont on trouve des copies dans la Librairie d'État d'Ulanbator. On peut trouver le catalogue complet de l'édition d'Ulanbator dans Chandra (vol. 1, pp. 326-333). Parmi les hagiographies qu'il a écrites, il y en a une consacrée à Panchen Sonam Dragpa, hagiographie qui porte le titre très suggestif de rdo rje shugs ldan rtsal byung tshul mdo tsam brjod pa pad dkar chun po6.

Ce texte est également cité dans Tibetan Histories qui contient une bibliographie des textes sur l'histoire du Tibet groupés par siècle. Dans la section consacrée au 18e siècle, on trouve :

Btsun-pa Ma-ti, Rgyal-’bai Bstan-bsrung Chen-po Rdo-rje-shugs-ldan-rtsal-gyi Byung tshul Mdo tsam Brjod pa Pad-dkar chun-po. Copie jointe à un texte imprimé à partir de blocs de bois ayant le titre de : Lha-dbang-rgya-mtsho, Rje-btsun Tham-cad-mkhyen-pa Bka’-drin-can Bsod-nams grags-pa'i Dpal Rnam-dpyod Mchog-gi Sde'i Rnam-par Thar-pa Ngo-mtshar Rmad-du Byung-ba Dad-pa'i Rol Rtsed. Le texte écrit par Btsun-pa Ma-ti est imprimé sur les folios 19v jusqu'à 27v et il traite des origines de la déité protectrice Rdo-rje-shugs-ldan et contient une référence spéciale à la lignée d'incarnation des Gzims-khang Gong-ma. Cette entrée a été faite par E. Gene Smith (letter March 9, 1996).

En effet, l'ouvrage est signé du nom d'une réincarnation (sprul ming) nommée btsun pa ma ti. Le colophon ajoute qu'il fut écrit au monastère de Drépung Loseling. Compte tenu de ces informations, on peut supposer qu'il fut écrit par un lama réincarné qui vivait dans ce monastère au 18e siècle.

Rabjampa Ngawang Lobsang est la même personne désignée par le nom de Ngag-dbang-ye-shes-thub-bstan7 puisque les autres ouvrages décrits plus loin portent la signature de Rabjampa Ngawang Lobsang. Après avoir cité longuement ce texte, Pabongkha Rimpoché donne la référence des oeuvres complètes de Rabjampa Ngawang Lobsang. Par conséquent, on peut faire remonter ce texte au moins aussi loin que Rabjampa Ngawang Lobsang et jusqu'à ce qu'on ait pu prouver qu'il a été écrit par quelqu'un d'autre, nous supposerons que Rabjampa Ngawang Lobsang en est l'auteur.

La plus grande partie de ce texte est consacré à la biographie de Panchen Sonam Dragpa (1478-1554). Panchen Sonam Dragpa est la première incarnation dans la lignée des gzims khang gong ma qui se termine avec Tulku Dragpa Gyaltsen qui est devenu plus tard Dordjé Shougden. C'est à ce point qu'était consacré le premier texte mentionné ci-dessus (Rgyal-’bai Bstan-bsrung Chen-po Rdo-rje-shugs-ldan-rtsal-gyi Byung tshul Mdo tsam Brjod pa Pad-dkar chun-po, dont le titre abrégé est Rosaire des Lotus blancs).

Dès le départ, l'ouvrage se présente comme un court compte-rendu de l'histoire (byung tshul mdo tsam) du protecteur du Dharma du Conquérant, Dordjé Shougden Tsel (rgyal ba'i bstan srung chen po rdo rje shugs ldan rtsal). Dès la première ligne, on trouve le nom rdo rje shugs ldan rtsal, qualificatif utilisé par la majorité des pratiquants antérieurs et ultérieurs de cette déité. Après ces premières lignes, on trouve une introduction poétique traitant de la grandeur de la lignée des incarnations de Panchen Sonam Dragpa qui se termine par ces lignes :

Afin de protéger la doctrine de Jamgon Lama et les détenteurs de celle-ci, [Dordjé Shougden] se manifeste en prenant des centaines de formes courroucées. Je vais raconter ici l'histoire de Dordjé Shougden.

Puis, le récit commence ainsi :

De même, ce protecteur a intentionnellement pris une forme courroucée dans le but de complètement subjuguer (tshar gcad) ceux qui font du tort à la doctrine et aux détenteurs de la doctrine (bstan 'dzin) de Jamgon le Second Conquérant ('jam mgon rgyal ba gnyis pa). Ainsi, la réincarnation de Yontan Gyatso (le Quatrième Dalaï-Lama) et ceux qui ont commis la même erreur ont prétendu que la réincarnation de Panchen Sonam Dragpa, nommée Toulkou Dragpa Gyaltsen, avait pris la forme d'un dregs [esprit mondain]./p>

L'auteur poursuit en racontant l'histoire qu'il a personnellement entendue de la bouche de certains lamas importants :

À l'époque de Panchen Sonam Dragpa, le chef des Dreg, Péhar, parcourut le monde pour savoir quels types de Bouddhadharma existaient et quelles étaient les réalisations et les qualités des pratiquants de ces types de Bouddhadharmas. Il découvrit le Dharma de Djé Lama et son représentant le plus qualifié, l'omniscient Pandit Sonam Dragpa qui possédait toutes les transmissions, les réalisations et les qualités. Sachant que Sonam Dragpa était un être éminent, il alla le voir pour lui faire une demande.

Péhar lui adressa alors la demande suivante :

« Afin de maintenir, de garder pure, d'accroître et de protéger le Dharma de Djé Lama, s'il vous plaît accomplissez les activités de pacification, d'accroissement, de contrôle et courroucées. Je vais également essayer de le faire et de vous aider le plus possible. En ce qui me concerne, Padmasambhava m'a ordonné de protéger le Bouddhadharma en général, ce que j'ai fait. Mes voeux ne me confèrent pas le pouvoir de protéger la doctrine de Djé Lama en particulier. C'est pourquoi je vous demande de le faire. »

L'auteur raconte comment la réincarnation de Panchen Sonam Dragpa, Toulkou Dragpa Gyaltsen, a répondu à cette requête :

Ainsi, selon les conditions fixées par cette requête, il se manifesta volontairement pour protéger le Dharma de Djé Lama et ses disciples en accomplissant des actions extrêmement courroucées et rapides pour détruire complètement tout tort indu, vaincre instantanément les ennemis du Dharma et conquérir les légions des démons détenant le pouvoir illimité du Vajra. Il prit la forme de Gyalchen Dordjé Shougden Tsel qui, selon le récit transmis oralement par la lignée des lamas du passé, a été jusqu'à maintenant considéré comme le protecteur du Dharma de Djé Lama Tsongkhapa.

L'auteur explique ensuite que Panchen Sonam Dragpa était réputé être la réincarnation de Buton Rinchen Drup qui, à son époque, avait été réputé être la réincarnation de Shakya Shri, signifiant ainsi qu'ils faisaient tous partie de la même lignée d'incarnations. Il rapporte alors un récit sur Shakya Shri tiré du livre Origine du Vinaya écrit par Yongzin Pandita :

À l'époque où Shakya Shri vivait à Magadha [l'ancienne cité bouddhiste qui se trouvait en Inde], le roi de Magadha envoyait continuellement des offrandes à un Destructeur de l'ennemi qui vivait au Singhala [Shri Lanka]. Le Destructeur de l'ennemi dit alors au messager du roi : « vous venez de loin pour m'apporter ces offrandes, alors que vit dans votre propre royaume le septième Bouddha, Tathagatha Pure Lumière, le Mahasattva nommé Shakya Shri. Si vous lui offriez ces présents, votre mérite serait beaucoup plus grand. »

Puis, le jeune frère de Panchen Shakya Shri se rendit au Singhala pour voir le Destructeur de l'ennemi qui répéta les mêmes paroles qu'il avait dites au messager du roi. C'est depuis lors que l'on dit que Panchen Shakya Shri deviendra le septième Tathagatha du notre fortuné éon. Trophu Lotsawa a également écrit [dans la biographie qu'il a écrite sous forme d'hommage à Shakya Shri] : « comme l'a révélé le Destructeur de l'ennemi vivant au Shri Lanka, le Rishi de la montagne Jakang [au Yunnan en Chine], protecteur d'Orgyan, hommage au septième Bouddha qui, au cours de cet éon, atteindra l'illumination et retournera à Ganden ».

Ce lien est également mentionné dans la biographie de Buton Rinchen Drub écrite par son disciple Dratshadpa Rinchen Namgyal qui ajoutait également la lignée à Djé Tsongkhapa. Dans l'introduction de la biographie, il dit clairement que Buton était la réincarnation de Shakya Shri8 :

Selon une prophétie, des 1 000 Bouddhas qui apparaîtront au cours de ce fortuné éon, il sera le septième à enseigner le Dharma. La même prophétie a été faite par le Siddha et Rishi de Ribo Jakang (Chine), le Siddha de Ugyan (Swat) et l'Arhat du Shri Lanka.

On lit également dans cette introduction à la biographie de Buton Rinchen Drub :

À une époque très reculée, cet être éminent était un puissant Seigneur des douze stages qui obtint le corps de Jouissance (Sambhogakaya) d'un Bouddha. Par la suite, il se manifesta en prenant divers corps d'émanation (Nirmanakaya). Ainsi, il résida simultanément dans la pure réalité de Toushita et prit naissance et joua comme un enfant.

L'auteur du Rosaire des Lotus blancs dit qu'on peut trouver des informations au sujet du Septième Bouddha dans le Soutra Bhadrakalpika (mdo sde bskal pa bzang po). Dans ce sutra, on lit ce qui suit à propos du Septième Bouddha du présent éon9 :

Le Tathagatha Pradyota naîtra dans la contrée nommée Constellation. Il sera d'ascendance royale et son éclat sera visible d'une distance de cinq yojanas... Il réunira cent mille fois 10 millions de disciples lors de son premier rassemblement, 990 millions lors de son second rassemblement et 980 millions lors de son troisième rassemblement. Sa vie durera 90 million d'années et son saint Dharma subsistera encore pendant quatre-vingt-cinq mille ans. Ses reliques seront nombreuses.

L'auteur rappelle ces récits qui font remonter la lignée d'incarnation jusqu'à Shakya Shri afin d'établir la légitimité de Dordjé Shougden en s'appuyant sur les points suivants :

  1. La lignée des réincarnations de Panchen Sonam Dragpa inclut les incarnations de Buton et Shakya Shri qui furent à n'en point douter des êtres de haut rang.
  2. La lignée des réincarnations après Panchen Sonam Dragpa gzims khang gong ma contient entre autres Toulkou Dragpa Gyaltsen.
  3. La réincarnation de Toulkou Dragpa Gyaltsen fut à n'en pas douter Dordjé Shougden.
  4. Par conséquent, Dordjé Shougden est une émanation et non pas le fruit d'une renaissance ordinaire découlant d'une tendance karmique.

L'auteur établit les deux premiers points en recourant à plusieurs citations telles celles que nous avons vues ci-dessus. Pour démontrer les deux derniers points, curieusement, l'auteur cite une source qui a été utilisée par les détracteurs de Dordjé Shougden pour le discréditer en le présentant comme un esprit ordinaire. Voici une citation tirée de l'histoire de la tradition Géloug (Vaidurya Serpo) :

On a cru pendant un certain temps que la réincarnation de Ngawang Sonam Geleg [c'est-à-dire Toulkou Dragpa Gyaltsen], qui fut la réincarnation de Sonam Yéshé Wangpo qui fut lui-même la réincarnation de Panchen Sonam Dragpa, pouvait être la réincarnation de l'Omniscient Yonten Gyatso [le Quatrième Dalaï-Lama], mais il eut à la fin de sa vie une renaissance malheureuse.

Cette citation est importante, car elle établit qu'il s'agit de la même lignée d'incarnations qui a fini par connaître une mauvaise renaissance, ce qui nous conduit au point suivant. L'auteur pose la question suivante : comment est-il possible que quelqu'un ayant une telle lignée d'incarnations antérieures ait pu avoir une renaissance malheureuse (skye gnas mi bzang)? La réponse à cette question permet à l'auteur de conclure sa thèse en disant que lorsqu'un bodhisattva à atteint les bhumis (les niveaux de bodhisattva), la porte des renaissances malheureuses se ferment. Il est donc inapproprié qu'un tel être puisse avoir une réincarnation malheureuse. En général, lorsqu'on atteint le premier bhumi, il est possible d'apparaître dans des centaines de corps à la fois au bénéfice des êtres et, pour ce faire, ces émanations peuvent prendre la forme d'Indra, de Brahma ou d'un démon. Ainsi, afin de protéger le Dharma, ces êtres supérieurs peuvent se transformer en dregs (esprits) au bénéfice des êtres. Il n'y là aucune contradiction. Telle est la conclusion de la première présentation faite par l'auteur.

L'ouvrage donne ensuite sur plusieurs folios un sommaire de la vie de Panchen Sonam Dragpa et sur la manière dont il a atteint les objectifs communs et extraordinaires. L'ouvrage se conclut sur le récit de divers incidents qui se sont produits à l'époque du Cinquième Dalaï-Lama, notamment à quel point il fut au début terrifié par Dordjé Shougden. Dreyfus attribue cette citation à Pabongkha Rimpoché. Or, cette citation provient de ce texte :

« Parce que l'Omniscient Grand Cinquième pratiquait et faisait la promotion de tous les enseignements des anciennes et des nouvelles [écoles], ce grand protecteur grâce au pouvoir acquis par ses prières antérieures manifesta un grand nombre de phénomènes extrêmement terrifiants en présence du Roi tout-puissant (le Cinquième Dalaï-Lama) afin de protéger et défendre spécifiquement la grande tradition Tsong-Kha-Pa10. »

Ainsi, ce n'est pas Pabongkha Rimpoché qui a inventé l'idée selon laquelle Dordjé Shougden s'en prenait à ceux qui mélangeaient les enseignements Géloug et Nyingma11. Ensuite, il raconte que le Cinquième Dalaï-Lama essaya d'abord de le détruire en demandant à Sakya Rimpoché d'accomplir un rituel (gtor rgyag), mais que davantage de troubles s'ensuivirent. À la suite de cette expérience, il écrivit un rituel d'offrande de tormas à Dordjé Shougden. Vient ensuite le récit de l'envoi par le Cinquième Dalaï-Lama d'un messager au Dol :

Il y a dans la région de Dol une forteresse (pho brang) offerte par le Grand Cinquième à titre de palais. À l'époque du Grand Cinquième, il donna à un représentant du gouvernement un onguent spécial pour les yeux et un chapeau (sgrib zhva), et il l'envoya livrer une lettre à Dolgyal. Lorsqu'il parvint en ce lieu, il vit que le palais de Dolgyal avait l'apparence du château d'un dieu. Les portes à droite et à gauche étaient protégées par deux terrifiants Acharyas. Après avoir mis son chapeau magique, il put entrer. Au centre de ce magnifique palais, il y avait un trône sur lequel était assis un moine portant les trois robes des moines. En face de ce dernier, il y avait un mandala de lumière. Le lieu était rempli d'une atmosphère de piété.

Un grand nombre d'entités non humaines (mi ma yin) et affreuses vinrent de l'extérieur. À maintes reprises, elles avaient dit « nous sommes frappées par des flèches dans cette contrée, donnez-nous une façon de nous venger ». Malgré leurs demandes répétées, toute compassion étant inappropriée, elles furent déboutées. Finalement, après qu'elles eurent réitéré leur demande, il leur donna une poignée de graines de moutarde et il leur dit de les lancer dans la direction de 'On pour que la récolte de l'année soit détruite. Puis, le représentant du gouvernement se présenta en disant : « le Cinquième Dalaï-Lama m'a demandé de vous livrer cette lettre ». Tendant la lettre, Dordjé Shougden la prit et la plaça sur son front. Puis, [le représentant] retourna auprès du Cinquième Dalaï-Lama pour lui raconter ce dont il avait été témoin. Voilà ce que m'a rapporté mon saint maître.

Ce récit illustre l'opinion des maîtres au sujet la relation entre Dolgyal et le Cinquième Dalaï-Lama plusieurs générations avant Pabongkha Rimpoché. Le colophon stipule que ce texte avait été écrit par dévotion à l'égard de Panchen Sonam Dragpa par la réincarnation nommée (sprul ming) btsun pa ma ti au monastère de Drépung. Ceci contredit en outre l'affirmation selon laquelle le développement antérieur de la pratique de Dordjé Shougden n'était pas lié à la figure de Panchen Sonam Dragpa12.

L'auteur, comme il l'admet lui-même, a mis par écrit la tradition orale qui circulait parmi les moines à cette époque. Y a-t-il lieu de soupçonner l'auteur d'avoir inventé tout ceci ? Il s'agit du plus ancien témoignage du fait que :

  • Péhar avait demandé à Panchen Sonam Dragpa de devenir Dordjé Shougden;
  • la lignée des réincarations de Dordjé Shougden remontait au moins à Shakya Shri et que Toulkou Dragpa Gyaltsen en était la dernière incarnation;
  • il existait des preuves que Dordjé Shougden était non pas une déité mondaine ordinaire, mais plutôt une émanation;
  • Dordjé Shougden avait été mandaté pour être le protecteur attitré de la tradition Géloug.

En outre, la tradition orale dont il est fait mention dans cet ouvrage s'est continuée au cours du 20e siècle jusqu'à Pabongkha Rimpoché et Trijang Rimpoché. Certains spécialistes ont accusé ces deux auteurs d'avoir inventé ces faits, passant ainsi honteusement sous silence les éléments évoqués dans cet ouvrage. C'est d'autant plus impardonnable que Pabongkha Rimpoché a lui-même cité le Rosaire des Lotus blancs dans l'ouvrage qu'il a consacré à l'histoire de Dordjé Shougden intitulé shugs ldan srog gtad kyi sngon 'gro'i mtshams sbyor kha skong.

Cet ouvrage se trouve dans le volume 7 (’ja’) des oeuvres complètes de Pabongkha Rimpoché (pp. 525-540). Dans son introduction, à la page 526, il indique qu'il s'agit de faits « rapportés dans les sources, dont rab ‘byams ngag gi dbang po’s Rosaire des Lotus blancs »13 . À la page 527, il cite textuellement le passage sur l'apparition de Péhar à Panchen Sonam Dragpa. Georges Dreyfus qui cite lui-même ce texte en tant que source dans son essai The Shuk-den Affair14, continue néanmoins à prétendre que c'est Pabongkha Rimpoché qui a créé le « mythe de Shougden » en inventant, entre autres, la connexion entre Dordjé Shougden et Panchen Sonam Dragpa !

De plus, cet auteur a lui-même composé des rituels consacrés à Dordjé Shougden. Il existe deux rituels15 se trouvant dans ses oeuvres complètes ainsi que dans le be bum de Dordjé Shougden. Le premier rituel16 est intitulé mchod gtor ‘bul tshul dam can dgyes pa'i mchod sprin las bzhi lhun grub. La plus grande partie de ce rituel consiste en l'offrande de tormas composé par 'on rgyal sras rin po che. Dans le colophon, l'auteur dit que le rituel a été composé à partir du rituel faisant autorité de 'On Gyalse Dordjé Chang avec quelques modifications.

En plus de ce texte assez long, il y a plusieurs rituels consacrés à Dordjé Shougden dans la collection réunie par Gourou Déva :

  1. Aux pages 311-314, il y a un rituel d'offrande de tormas intitulé bstan bsrung rdo rje shugs ldan rtsal la gtang rag ‘bul tshul bzhugs so.
  2. Aux pages 313-315, il y un rituel d'offrande d'un tsok intitutlé chos skyong rdo rje shugs ldan rtsal la tshogs mchod ‘bul tshul, rgyal chen dgyes pa'i ‘dzum zhal zhes bya ba bzhugs so. Dans le colophon, l'auteur dit que ce tsog a été inspiré par l'offrande à sku lnga (Pehar) composée par Djé Gungtang Rimpoché suite à une demande faite par le moine en chef blo bzang tshe ring.
  3. Aux pages 315-316, se trouve une offrande de serkyem qui, selon le colophon, a été compilée (bsgrigs) plutôt que composé par l'auteur. Il s'agit du serkyem composé par Morchen Dordjé Chang repris tel quel, avec l'ajout de quelques versets à la fin.
  4. Aux pages 317-318, il y a un rituel intitulé bstan bsrung rdo rje shugs ldan rtsal la gtor ma ‘bul pi dza ha ra ti sma. Ce rituel contient diverses offrandes : l'offrande d'un spectacle mettant en scène des animaux, le quadruple monde, etc. Ce rituel a probablement servi de modèle aux textes composés par Trehor Khangsar Rimpoché dont nous parlerons plus loin.

1 TBRC Person RID: P259, Don rdor and bsTan 'dzin chos grags (1993), pp. 916-917.

2 Chandra, Lokesh (1963). Materials for a History of Tibetan Literature. International Academy of Indian Culture: New Delhi. v. 2, p. 18.

3 Puisque Ngag dbang mkhas grub est décédé en 1838 (TBRC Person RID: P4699), Rabjampa Ngawang Lobsang ne peut être né après 1821 puisqu'il a pris ses voeux auprès de lui à l'âge de 17 ans. Par conséquent, il a probablement vécu des années 1810 aux années 1890.

4 Les dates de 1779-1838 mentionnées dans ce texte sont fausses puisqu'elles correspondent à celles de ngag dbang mkhas grub qui fut son enseignant ainsi que l'abbé du monastère de Khure.

5 TBRC Work RID: W5328.

6 Chandra, Lokesh (1963). Materials for a History of Tibetan Literature. International Academy of Indian Culture: New Delhi.p. 326.

7 La biographie de Panchen Sonam Dragpa et le Rosaire des Lotus blancs se trouvent dans les oeuvres complètes de rab ‘byams ngag gi dbang po’s. Selon ce que nous avons trouvé, son nom est ngag dbang ye shes thub bstan (TBRC Person RID: P259). Cet ouvrage se trouve référencés deux fois dans Tibetan Buddist Resource Center (TBRC) sous le titre de mkhas grub chen po paN chen bsod nams grags pa'i sde'i rnam par thar pa ngo mtshar rmad du byung ba dad pa'i rol rtsed dang rgyal ba'i bstan bsrung chen po rdo rje shugs ldan rtsal byung tshul mdo tsam brjod pa pad dkar chun po. La première référence se rapporte à ngag dbang ye shes thub bstan (TBRC Person RID: W5327): « 38 ff. in vol. ka of the 4 vol., largely printed, gsung 'bum. »
La deuxième référence renvoie à lha dbang rgya mtsho (TBRC Person RID: P4949) en tant que Work RID: W17594. Ces textes ont néanmoins été publiés séparément à plusieurs reprises comme on peut le lire dans les données du TBRC.

8 Voir l'introduction de A Handful of Flowers (1996), a brief biography of Buton Rinchen Drub, traduit par Hans van den Bogaert, publié par la Library of Tibetan Works and Archives.

9 The Fortunate Aeon: How the Thousand Buddhas Become Enlightened (c1986). Traduit en anglais par des membres de Dharma Publishing dans le cadre du projet Yeshe De. Berkeley, Calif. : Dharma Pub., pp. 523-525.

10 Dreyfus (1998), pp. 250-251.

11 Notons que Georges Dreyfus se contredit au sujet du fait que Pabongkha Rimpoché a personnellement développé la pratique de Dordjé Shougden. À la page 228, il affirme que « [Pa-bong-ka] a développé cette pratique en réponse à certains événements contemporains. » Cette affirmation est le point central des attaques contenues dans son essai. Mais, à la page 246, il écrit : « Soyons clair en ce qui touche les innovations introduites par Pa-bong-ka. Il n'a pas introduit lui-même ces pratiques, parce qu'il les a reçues de ses maîtres comme Ta-bu Pe-ma Baz-ra et Dak-po Kel-zang Kay-drub (dwag po bskal bzang mkhas grub). Ce qui est nouveau avec Pa-bong-ka c'est qu'il a répandu des pratiques secondaires en en faisant des pratiques centrales de la tradition Ge-luk et en prétendant qu'elles représentaient l'essence des enseignements de Dzong-ka-ba. » Cette dernière affirmation est contredite par plusieurs des éléments contenus dans ce texte, puisque ce dernier fait clairement de Dordjé Shougden le protecteur apparu spécifiquement pour protéger la tradition géloug et, plus spécifiquement, pour empêcher que la doctrine de Djé Tsongkhapa, en particulier sur la vacuité, ne soit diluée.

12 La véracité historique de ces deux thèses est difficile à déterminer. Néanmoins, ceci prouve qu'elles existaient et étaient acceptées au 19e siècle.

13 Il est certain que ngag dbang ye shes thub bstan est synonyme de rab ‘byams ngag gi dbang po puisque c'est le nom qu'il a utilisé dans ses autres ouvrages, incluant ceux mentionnés ci-dessous.

14 Dreyfus (1998), pp. 250-251.

15 TBRC Work RID: W5325 and TBRC Work RID: W5326.

16 Guru Deva Rinpoche (1984), pp. 299-311.